jeudi 31 juillet 2014

Summer of Love (1)




Le 25 juin 1967, on créa au festival d'Aldeburgh l'adaptation par Britten du masque de Purcell The Fairy Queen. Réduite aux numéros musicaux, l'œuvre était organisée en quatre parties, et l'orchestre enrichi. La distribution réunissait des interprètes à la célébrité déjà bien établie (Peter Pears, Jennifer Vyvyan) et de jeunes chanteurs promis à de très grandes choses (Robert Tear, James Bowman, Alfreda Hodgson). La radio retransmit en direct cette création en concert, et un enregistrement suivit en 1970 avec pour partie les mêmes interprètes, mais aussi John Shirley-Quirk, Ian Partridge ou Norma Burrowes : See, the Night herself is here…

Or cet été commençant devait être désigné comme Summer of Love. Eh oui.




Le printemps n'avait pourtant pas été très engageant. Tandis que pour le premier Festival de Pâques à Salzbourg Karajan rendait Gundula Janowitz écornifleuse et incestueuse (tendance hardes), aux Amériques Norman Treigle s'acoquinait en studio avec Beverly Sills sous prétexte de revigorer les ardeurs anciennes de Cléopâtre et de César. Heureusement, Edda Moser enregistrait en août, à 28 ans, son premier rôle d'opéra, l'Amour dans Orfeo ed Euridice de Gluck dirigé par Karl Richter, un Amour impérieux, sans plumes ni accroche-cœur. 

Es lebe die Liebe ? Voire. Car ce même mois d'août l'amour était moins à la fête à Salzbourg. À cause de la mort de Wunderlich, L'Enlèvement au serail de Strehler était repris avec Luigi Alva pour tenter à sa place de sauver Ingeborg Hallstein, et Böhm dirigeait Les Noces avec rien de plus excitant que Claire Watson et Reri Grist – Edith Mathis sauvait l'honneur en Chérubin. Et Vénus, que fit-elle ? Elle chantait, ne vous déplaise, à la Résidence des Princes Archevêques dans une résurrection scénique d'Ascanio in Alba, mais pour sa descente en gloire il fallait se contenter de Simone Mangelsdorff au sein d'une distribution bien provinciale. 




À Aix en juillet, une Janowitz libérée de sa hutte cosmique (mais Alva à ses basques) chantait cette fois Donna Anna face au Don Giovanni fantastique de Gabriel Bacquier, flanqué de Rolando Panerai – excusez du peu. Le spectacle était retransmis par la télévision sous la direction de Roger Benamou, et même si l'amour donne envie de parler – voyez le duc de Nemours, toujours –, pour la première fois Max-Pol Fouchet ne parlait plus à l'antenne par-dessus les récitatifs pour en résumer la teneur : dix minutes de reportage à voir ici.

Mais surtout ces mois d'été allaient distinguer au hit parade A whiter shade of pale, chanson disons baroque pour ses vers (dus à Keith Reid) et aussi pour sa musique dérivée de Bach – il est question de meunier, c'est logique, et aussi de fandango, on ne peut pas tout avoir. Le chanteur du groupe s'appelait Gary Brooker et le groupe lui-même Procol harum, formule latine étrangère aux motets mais empruntée à la traduction latine par l'abbé Arsène Raimbaud du sonnet de Baudelaire Recueillement.





dimanche 27 juillet 2014

Jean-Philippe, Jean-Marie et Jean-Baptiste




Ophélie Gaillard, direction musicale et violoncelle
Claire Debono, soprano
Gilone Gaubert, violon
Brice Sailly, clavecin

J.-B. Barrière : Sonate en trio (livre III, n° 2)
J.-Ph. Rameau : « Heureux oiseaux » (Orthésie dans Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour)
J.-B. Barrière : Sonate pour violoncelle et basse continue (livre II, n° 4)
J.-Ph. Rameau : Orphée, cantate

J.-Ph. Rameau : L’Entretien des Muses
J.-Ph. Rameau : « Tendre Amour » (Chloé dans Anacréon)
J.-M. Leclair : Sonate pour violon et basse continue (livre III, n° 4)
J.-Ph. Rameau : airs « Viens, Hymen » (Les Indes galantes) et « Amour, lance tes traits » (Les Fêtes de l’Hymen et de l’Amour)

En bis : 
M. Lambert : « Vos mépris, chaque jour »

Manège de l’Abbaye de Pontlevoy, 21 juillet 2014


On traverse la forêt d’Amboise, on remonte la vallée de l’Indre jusqu’à Montrichard, puis la route du nord vers Blois, et voici Pontlevoy, où (nul ne l’ignore) le pharmacien Édouard Malingié (1800-1852) créa la race ovine de la Charmoise : un buste à sa gloire orne la place du foirail. Au reste, le charme de la petite ville tient beaucoup à son abbaye bénédictine, requinquée au Grand Siècle, qui donna lieu à un collège mais aussi, après 1775, à une école militaire. L’extension classique est imposante, mais c’est l’ancien manège, dont le plafond en bois aide à l’acoustique, qui sert de salle de concert pour le Festival de Musique de Pontlevoy, ordinairement dévolu à la musique de chambre des XIXe et XXe siècles. L’ensemble Pulcinella en petite formation était rejoint par Claire Debono, en remplacement d’Emmanuelle De Negri « ayant affaire ailleurs », et malgré l’indisposition de la soprano nouvelle (d’où un aménagement du programme, qui annonçait d’abord des extraits d’Hippolyte ou la cantate Le Berger fidèle) on n’aura certes pas perdu au change.

Avec les célébrations de l’année Rameau se multiplient les petits concerts anthologiques, plus ou moins bien ficelés par un lien thématique. L’idée des musiciens était ici de remettre Rameau dans le climat contemporain, en plaçant en regard deux autres créateurs virtuoses, le fameux Jean-Marie Leclair et le Bordelais Jean-Baptiste Barrière dont David Simpson et Noëlle Spieth avaient naguère révélé la beauté des sonates pour violoncelle (disque Solstice). Dans les pièces vocales de Rameau – effectif oblige – dominaient le pastoral et le galant, même si Orphée est plus dramatique, de sorte que l’entrelacement du programme assurait variété et cohésion. Une seule pièce de clavecin, jouée de manière plus amorphe que contemplative ; une sonate splendide de Leclair (pléonasme !) qu’on peut toujours imaginer plus solaire ou déliée au violon mais probablement pas plus altière ; la personnalité souveraine d’Ophélie Gaillard se fait sentir aussi bien dans la noblesse des Barrière que lorsqu’elle est moins exposée dans la sonate de Leclair. 

La cantate Orphée date de la Régence, une bonne dizaine d’années avant Hippolyte & Aricie, mais on y entend déjà la force du geste dramatique de Rameau malgré le cadre miniature et la banalisation de la fable dans les vers mondains qui viennent la clore. L’œuvre permet de profiter de l’ensemble formé par les interprètes, de leur respiration commune, du poids expressif qu’ils savent donner à la musique. La clarté de l’élocution n’était pas la qualité première de la soprano, mais la sensualité du timbre, l’économie et la sûreté du propos musical, la dignité jamais inerte du chant emportent l’adhésion.




Les airs extraits d’opéras de Rameau obligeaient à des transpositions instrumentales (Chloé dans Anacréon, Phani dans Les Sauvages dialoguent en principe avec la flûte) et s’offraient en plus simple appareil. Il n’empêche : à une époque où la joliesse limpide et univoque d’une Sabine Devieilhe rencontrent le succès que nous savons, quel régal d’entendre ces délicatesses par une voix au timbre moins centrée dans l’aigu, qui donne à la fois plus de corps, plus de clair-obscur et une autre sorte de charme, moins scintillant mais moins volatile. Dans les deux ariettes qui couronnent chacune une entrée des Fêtes de l’Hymen et de l’Amour, l’atténuation de la matière instrumentale les rapproche de l’esprit de la cantate, sauf qu’une voix comme celle de Claire Debono (ou de Blandine Staskiewicz, qui chantait l’ariette de l’Égyptienne lors de l’exécution de l’opéra en concert en février dernier) donne une plénitude superbe quand il s’agit de chanter « la paix, l’abondance et la gloire ». Les stéréotypes galants de ces « Heureux oiseaux » n’ont pas fait oublier ce soir-là que la pastorale est à la fois un meuble commode et un vecteur d’érotisme.

Changement d’univers avec le célèbre air de cour de Lambert, interprété par l’ensemble des musiciens avec une retenue intense. Claire Debono confirme sa personnalité d’interprète par une économie parfaite de la langueur, assujettie à la ligne et au temps. Le sens rhétorique est là, mais aussi assez de naturel et d’intelligence pour varier l’expression des « hélas » sans se réfugier dans les couinements obligés de certaine école. Sa Vespetta dans L’Infedeltà delusa de Haydn avait démontré les talents de Claire Debono pour l’esprit et la présence : voilà aujourd’hui de quoi faire désirer de la réentendre dans ce répertoire français. Par un lapsus charmant, Ophélie Gaillard en présentant les œuvres a parlé de Marie Bell au lieu de Marie Fel — mais qui sait ?